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Les nuits de Yirminadingrad - PORTRAIT
A
Central Gris, Anko Dinutre est plus qu’un visage connu, mais il ne doit sa
popularité ni à sa gentillesse, ni au bon temps de son enfance... C’est qu’il
en a fait du chemin, le gosse de rue que les plus vieux se souviennent avoir «
morvé à coups de tatane » ! Derrière le colosse aux tempes grises, ne portant
plus aujourd’hui que des vestes albanaises sur mesure, on peine à retrouver le
gamin qui piaffait en guenilles dans les gouttières demi-lune de son bidonville.
C’est pourtant là qu’il a appris les rudiments de son art, dans l’arrière-salle
du Chez Dymas, où il mélangeait chaque nuit les alcools de contrebande
de la Paix Sèche afin de les rendre moins imbuvables. Et il n’avait que douze
ans !
D’abord barman au Palco, où ses dons lui valent une réputation de jeune
prodige, c’est au Nonona
qu’il prend, il y a une quinzaine d’années, la
pleine mesure de son talent. C’est là qu’il compose
sa première carte, là qu’il
décroche sa première médaille d’or à
la NBIA, catégorie espoir, grâce à son
éclectique Lagrange Punkt. Ayant aujourd’hui renié cette recette, tout
ce que l’on peut en dire est qu’elle contenait un mélange détonnant de calvados
domfrontais et d’absinthe magyare... A ce premier succès il ajoutera, à peine
plus tard, deux victoires au concours international, d’abord avec le très
vicieux Mycronie en temps de paix puis, plus brillamment encore, avec
son réjouissant Anko pick me up...
Les derniers de ses cocktails, c’est au bar fédéral du Belvédère qu’il
les alchimise. A quarante-cinq ans, le mixologue le plus célèbre de
Yirminadingrad ne concourt plus. Il réserve la primeur de ses inventions à ses
clients les plus fidèles, ceux qui l’ont suivi de zinc en zinc, des sinistres
rades de Central Gris jusqu’aux prestigieuses terrasses du dernier palace à la
mode. Mais il n’est pas bégueule, l’enfant de la rue, et c’est avec son large
sourire incrusté d’éclats de saphirs qu’il vous accueille dans sa famille de
trompe-la-mort.
Si la déontologie nous empêche de les décompter, c’est après de très nombreux
verres que, sur le ton de la confidence, Anko Dinutre nous confia les recettes
suivantes, en cadeau à tous les lecteurs de ce site. A votre bonne santé ! Et «
qu’il retombe sur ses jambes ! » comme on dit en Mycrønie.
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Submartini
au verre à mélange,
sur des glaçons rincés à la Suze
1/10 Noilly Pratt
9/10 gin Waragi
1 trait de Peychaud Bitter
Passer dans un verre à martini.
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Beira do Ceú
au shaker
2/5 cachaça Serra Morena
1/5 Cointreau
1/5 Parfait Amour
1/5 jus de pomelo
2 traits d’Angostura
Passer dans un tumbler.
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Christophorus
au shaker
1/3 Cognac
1/6 Grand Marnier
1/6 Amaretto
1/3 jus d’orange
Passer dans une coupe
et couvrir au champagne.
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Bar fédéral du Belvédère, 13bis Nesebür
Road à Nova Gabrovo.
Ouvert du mardi au dimanche, de 16h à 4h sans interruption.
Mad Maxim's ?
Vous
en avez assez de la cuisine post-moderne ? Alors il est temps de vous mettre à
la cuisine post-apocalyptique ! Késako la cuisine post-apo ? Si vous vous posez
encore cette question c’est que vous avez passé les derniers mois dans un bagne
parisien ou en stage de déprivation sensorielle. La cuisine post-apo c’est the
buzz du moment à Yirminadingrad et dans toute la Nouvelle Europe. Passer à côté
c’est un peu comme avoir raté le premier concert de 2mbC à la Machine
Molle, c’est un peu comme ne pas faire ses vaccins avant d’aller faire un
tour aux Passerelles, c’est un peu comme continuer à prendre des Xs alors que
c’est out depuis des années.
Alors si vous ne voulez pas être un looser, précipitez-vous au restaurant du King
in Yellow pour goûter à la cuisine si dérangeante de Abé Patočka.
Asseyez-vous dans ce cadre fastueux, encerclé d’écrans gigantesques passant en
boucle les dernières catastrophes mondiales à la mode et préparez-vous à
déguster, avec les doigts – fin du monde oblige –, par exemple le carpaccio de
pigeon-chat mariné caviar et truffes assaisonné au plutonium, le plat le plus
tendance du moment. Mais écoutez plutôt l’Auteur en parler : « Il faut prendre
un pigeon-chat sauvage, pas un de ces animaux dénaturés et domestiqué, mais la
vraie vermine qui rôde dans les bas-fond. Je le noie dans un bain d’huile
d’olive, le débite en micro tranches et le fait mariner dans une infusion d’un
kilo de caviar et de truffes noires pendant une nuit. Je récupère ensuite les
seules tranches et les saupoudre de matériel radioactif. C’est très bon avec un
chianti. »
Car plus qu’un plat, c’est une philosophie : comme
d’habitude, Abé marie avec
subtilité la pire vermine aux ingrédients les plus
luxueux. Ce carpaccio est un
véritable geste, une déclaration de guerre au pessimisme
ambiant, l’affirmation
que la fin du monde sera sexy ou ne sera pas. Fourrer un rat avec du
foie gras
et vous le servir, en ayant retiré le dit foie gras pour le
jeter à la poubelle
avant d’amener votre assiette est une provocation philosophique
et politique au
même titre qu’une expérience gastronomique
inoubliable. Et rassurez-vous, le
matériel radioactif intégré à la recette
est dosé de manière à ne pas être
dangereux pour votre santé – sauf si vous êtes un
loser et que vous travaillez
dans une centrale nucléaire ou une décharge municipale.
Comme le dit Abé
lui-même, la cuisine post-apocalyptique « c’est pas
pour les trouillards, les
défaitistes et autres pacifistes. »
Alors, prêts à prendre le risque ?
Restaurant du King in
Yellow, 1871 Strip.
Ouvert tous les jours sans interruption.
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